La vie de la population civile durant le siège

Dès le début de la guerre franco-prussienne, le gouverneur militaire de Belfort conseille aux habitants qui le peuvent de quitter la ville. Environ 2000 personnes suivent cet avis et se réfugient pour la plupart en Suisse.

4000 habitants décident de rester dans la future ville assiégée.

Après la capitulation de Strasbourg le 27 septembre 1870, et plus encore après celle de Metz le 28 octobre, la population de Belfort sait qu’elle va connaître un nouveau siège. Les précédents de 1814 et 1815 sont encore très présents dans les esprits, qui se souviennent du manque de vivres et des souffrances de la faim qu’endurèrent alors les habitants.

Le Messager Boiteux, Belfort bombardé durant le siège de 1814, gravure sur bois ©Musée(s) de Belfort

Voyant poindre un nouveau siège, la population de 1870 se prépare, et s’approvisionne, notamment en farine, bœuf salé, et légumes secs. Il n’est guère de famille qui ne possède, au début du siège, de quoi tenir pendant 3 mois. La ville achète également de son côté des quantités importantes de farine, de pièces de bétail, de sel et de pommes de terre, de sorte qu’aucun habitant n’eut à souffrir de la faim, même les plus pauvres, durant ce nouveau siège d’une durée de 103 jours. La ville ne manque pas non plus d’eau, bien que l’on ait craint à plusieurs reprises que les Prussiens ne coupent l’alimentation principale de la ville, venant du nord entre Evette et Valdoie.

Les conditions de vie de la population civile ne sont pas faciles pour autant, plus particulièrement à partir du 3 décembre 1870, début de la phase de bombardement de la ville.

Dès cette date, les habitants se réfugient dans les caves des maisons et immeubles. Les habitants qui n’en possèdent pas sont hébergés dans les caves de l’Hôtel de ville ou les caveaux de l’église Saint-Christophe.

Auguste Lancon, La cave rue d'Enfer, eau-forte, 1873-1875 ©Musée(s) de Belfort

Les conditions de vie dans les caves sont difficiles, surtout les caves collectives. Certains dorment sur des lits mais beaucoup sur de la paille. Les femmes enceintes côtoient les malades. Il arrive qu’une femme accouche à côté d’un mourant, le nouveau-né prenant aussitôt la place du défunt.

Les maladies sévissent, notamment la variole, également appelée petite vérole, dont heureusement peu de personnes meurent. Plus meurtrière, la fièvre typhoïde survient vers la fin décembre. Elle se développe rapidement et fait de nombreuses victimes durant le mois de janvier 1871. Les caves protègent néanmoins du bombardement.

Dehors, tout déplacement peut coûter la vie. Les projectiles pleuvent. Pour s’en protéger lors des déplacements inévitables, la ville a installé dans les rues des abris adossés aux maisons. Établis à de courtes distances les uns des autres, ces abris rendent de grands services pendant le bombardement. Ils consistent en une série d'épais madriers serrés les uns contre les autres et appuyés obliquement contre les maisons, le plus souvent en face de la porte d'entrée.

Les bombardements intensifs font néanmoins des victimes, à la fois dans les rues et chez les personnes restées au rez-de-chaussée ou aux premiers étages de leurs maisons.

Scène de bombardement en vieille-ville, gravure de presse ©Musée(s) de Belfort

Les étages supérieurs sont dévastés et démolis. Personne ne peut s’y risquer, à part les courageux volontaires du service des incendies. Dès la fin novembre 1870, le maire Edouard Mény a demandé que chaque immeuble, et chaque groupe de maisons de moindre importance, soit constamment surveillés pour agir sans délai en cas de départ de feu.

L’assiégeant dispose de bombes et celles-ci font quelques ravages. Le théâtre de la ville, situé à l’arrière de l’Hôtel de ville, est détruit par les flammes, de même que le bâtiment de l’école des filles rue de l’Etuve, à l’arrière de l’arsenal. Mais grâce à l’organisation du service des incendies et au dévouement des guetteurs et surveillants volontaires, les sinistres sont relativement peu nombreux.

Plusieurs maisons des faubourgs sont moins chanceuses, car les secours y sont plus difficiles à organiser.

A la fin du siège, on dénombre environ 300 morts parmi la population civile, dont 40 à 50 tués par le feu de l’ennemi.

Pendant le siège, la plupart des morts sont enterrés, de nuit, au lieu-dit « le pré Gaspard », aujourd’hui cimetière des mobiles, boulevard de Brisach, lieu à l’abri des tirs de l’artillerie prussienne. Pas de cérémonie, pas de parents, pas d’amis pour accompagner les morts à leur dernière demeure. Certains ont été enterrés sans même un linceul, dans une grande fosse que l’on agrandit au fur et à mesure.

Les familles qui le souhaitent ont le droit de transporter leurs morts au cimetière de la ville, le cimetière de Brasse, situé au nord-ouest, au-delà de la Savoureuse ; mais le transport des corps se fait aux risques et périls des familles, sans cortège. On voit des pères ou des maris, conduire eux-mêmes leur enfant ou leur femme sur des voitures à bras et les enterrer de leurs propres mains.

Les malades et les blessés sont, eux, soignés principalement à l’hôpital militaire (faubourgs de Montbéliard), à l’hôpital civil de la ville (actuelle faculté AES) et dans différents lieux de soins annexes appelés « ambulances ». L’hôpital civil et les ambulances de la ville sont gérés par des sœurs très dévouées issues de différentes congrégations religieuses ainsi que les médecins de la cité. Le personnel soignant de l’hôpital militaire se compose essentiellement de médecins et d’infirmiers militaires.

Le calvaire des Belfortains ne prend fin que le 13 février 1871 au soir, terme du bombardement. Chacun s'empresse alors de quitter sa maison. Une foule heureuse et bruyante envahit tous les quartiers de la ville et des faubourgs. Bien des personnes sortent de leurs caves à ce moment-là pour la première fois depuis le commencement du siège. Elles parcourent avec empressement les rues pour y voir, à l'aide de lanternes, les tristes dégâts du bombardement.