L'impossible jonction

William Mackenzie, Londres, Le général Bourbaki, d'après Pierre Pierson, collection privée

Cette armée de l’Est prend naissance en décembre 1870 à Bourges, à partir de la division de l'armée de la Loire. Elle est hétéroclite et improvisée. Elle s'étoffe tant bien que mal durant son parcours en direction du nord-est (Chalon-sur-Saône, Besançon). Elle a pour objectif de couper les arrières et les lignes de communication des Prussiens, et au passage de délivrer Belfort.

Les Prussiens ont migré en direction de Montbéliard. Ils s'installent alors sur une ligne géographique qui suit un petit cours d'eau : la Lizaine. Au sud, Montbéliard et Héricourt, au nord, Frahier. Cette rivière, bien que peu importante, forme un obstacle naturel d’une largeur de 6 et 8 mètres et d’une profondeur de près d’un mètre. De plus, le remblai de la ligne de chemin de fer qui suit la Lizaine (de Montbéliard à Héricourt) offre un abri inopiné pour les Prussiens. Les troupes prussiennes rejoignent ainsi les contingents qui occupent déjà tout le Pays. La force totale des troupes disponibles est d’environ 43000 hommes commandés par le général von Werder.

William Mackenzie, Londres, Le général von Werder, gravure d'après une photographie, 1870 (source gallica.bnf.fr / BnF)

Les Français, de leur côté, au nombre de 100000 sont sur un terrain boisé difficile.

Les Prussiens profitent de deux jours de répit (10 et 12 janvier) pour placer des soldats tout le long de la Lizaine. Des bouches à feu sont installées sur les hauteurs : à Chalonvillars pour défendre Chenebier et Frahier, au Mont-Vaudois pour tenir Héricourt, à Montbéliard aux mains des Prussiens depuis novembre 1870. Les soldats allemands profitent de la valeur défensive de la Lizaine dont Ils font sauter la plupart des ponts, bourrent d’explosifs les autres, aménagent les routes pour faire passer le ravitaillement.

Ainsi donc, de Montbéliard à Frahier, une ligne de front d'environ 20 km est puissamment défendue.

Le 15 janvier, le général Bourbaki lance l’attaque générale et poursuit le lendemain pour percer le front de la ligne prussienne entre Hericourt et Busserel. La lueur d’espoir palpite et grandit dans les cœurs de la population assiégée. « C'était une belle journée d'hiver que celle du 15 janvier 1871, raconte un soldat volontaire anonyme. C'était un jour qui paraissait prédestiné au bonheur, et, d'après tout ce que l'on savait, ce jour-là devait être le jour de la délivrance ».

Alphonse de Neuville, En avant! Le combat de Chenebier, huile sur toile, 1884 ©Musée(s) de Belfort

Vers 10 h du matin, se souvient le maire Édouard Mény, « Nous entendons tout-à-coup une canonnade formidable du côté d'Héricourt. (...) Personne ne doute, aux décharges terribles qui se multiplient sans relâche, que ce ne soit là une véritable bataille ».

Ce bruit croissait et se rapprochait sans cesse ; l'armée française s'avançait victorieuse. Quelques heures encore et elle pénétrerait dans nos murs, et nous verrions les Français, nos frères, nos libérateurs, se réjouit de son côté Léon Belin. (...) On l'entend partout, dans les appartements, dans les caves, dans les casemates. Ce n'est plus un combat, c'est une grande bataille, une lutte gigantesque, dans laquelle des centaines de canons vomissent le fer et la mort, et cette bataille se livre entre Belfort et Montbéliard, à quelques kilomètres de nous. Peut-être serons-nous délivrés ce soir ? ».

Les 15, 16 et 17 janvier, la bataille d’Héricourt sur la Lizaine dure 3 jours. Le climat en ce début de bataille est extrêmement rigoureux. Il neige et il a neigé abondamment durant les jours précédents. La température nocturne atteint -20°C. C’est donc une armée épuisée et mal équipée qui arrive pour combattre sur le front de la Lizaine.

Les premiers combats s'engagent devant les villes d'Héricourt et de Montbéliard. Les troupes pénètrent dans Montbéliard et attaquent le château pour y déloger les Prussiens qui tirent à l'arme lourde. Le petit village de Bethoncourt au nord-est de Montbéliard connait un douloureux combat durant lequel succombent des bataillons de savoyards et de zouaves. Les luttes les plus sanglantes se déroulent devant Héricourt et Chagey. Pendant trois jours, la ligne de la Lizaine connaît des affrontements acharnés. Les français échouent dans le contournement par la droite et l'attaque de front.

Les troupes sont délabrées et le 18 janvier, aucune percée décisive n'ayant été marquée, le général Bourbaki décide de suspendre les combats et d'opérer la retraite de ses troupes en direction du sud, vers Besançon par les deux rives du Doubs.

A l'arrière plan, la retraite de l'armée de l'Est en rase campagne (source gallica.bnf.fr / BnF)

La libération de Belfort aura donc échoué. Le général attribue ses revers au choix de la bonne position défensive des prussiens et à la manière judicieuse dont elle a été renforcée. Il ajoute que l’approvisionnement catastrophique en vivres et munitions a été retardé en raison du mauvais état des chemins et de la configuration du terrain.

Acculée à la frontière suisse, l'armée de l'Est est prise au piège. Bourbaki tente alors de se suicider. Il laisse le commandement de l'Armée au général Justin Clinchant, son principal adjoint.

Quoiqu’il en soit, la conduite de l’armée de secours pendant les journées de bataille mérite les plus grands éloges (avis du général prussien). Les prussiens perdent, du 15 au 18 janvier, 81 officiers et 1847 hommes ; les pertes françaises sont évaluées entre 8000 et 10000 hommes.

Le 18 janvier 1871, après la retraite de l’armée de l’est, le régiment du général von Werder vient renforcer l’armée du siège.

L’armée de l’Est est dissoute le 1er février 1871 après avoir été désarmée et exilée en Suisse.